COMMENT PARLER DU SPORT EN PSY ? 

 

Dr Henri BERNARD  

 

Le sport, en effet, est un agent  

psychique incomparable, et, soit dit en  

passant, c'est là une dynamique à  

laquelle on pourrait avantageusement  

faire appel dans le traitement de bien  

des psychonévroses.  

 Pierre de Coubertin  

 

 

La question est simple, le problème est complexe. Souvent l’on entend dans les milieux spécialisés ce  commentaire : dommage qu'il n' y ait pas de littérature psychiatrique sur le sport en psychiatrie ! Les  publications utilisables sont si rares ! Il nous faut une vraie recension! Il faudrait une théorie  d'envergure pour asseoir la question une bonne fois... Prétendument, le sport en psy ne s'écrirait guère.  Ce manque est ressenti de manière assez générale. Il tourne autour d'un manque de savoir de référence  et d'un manque de légitimité en quelque sorte.  

Pourtant ... Si l'on observe un tant soit peu le vaste champ du soin psychique, combien d'exemples de  sport s'offrent notre investigation ! Dès les temps antiques, Galien préconisait les jeux de balle. Les  médecins de la Renaissance trouvaient dans la paume un bon remède pour les angoisses et les  mélancoliques. Esquirol au siècle dernier ne cessait d'insister sur les bienfaits de l'exercice. Plus près  de nous, Sivadon consacra un ouvrage entier à ce sujet. La prescription du sport a donc traversé les  ages.  

Et la pratique n'a pas été en reste. Autour de nous les activités sportives pullulent. Est-il un service  hospitalier, un dispositif de secteur, ou une association qui n’utilise peu ou prou cette gamme ? Du  groupe de relaxation à la randonnée pédestre, de l'escalade thérapeutique à la danse, du sport collectif  à la piscine, de l'éducation physique au tournoi de ping-pong, la liste donne le tournis.  

C'est même se demander si dans certains hôpitaux, (et pourvu que latitude en reste  donnée du côté des effectifs) les établissements psychiatriques n'accordent pas davantage de  place au sport que ne le fait la société en général... A ce compte, il prétendrait presque  représenter par sa permanence et son dynamisme le soin en général !  

La notion d'un manque de littérature que nous relevions d'entrée, est d' autant plus étonnante.  D' ailleurs les commentateurs désabusés de tout à l’heure étaient volontiers des praticiens de  la chose sportive! Qui sont donc le vivant exemple d'un succès et d'une insatisfaction !  

Tel est le paradoxe du sport en psy.  

Cette activité, anciennement reconnue et régulièrement pratiquée, serait difficile à  dire. Les soignants qui l'appliquent, aussi persuadés soient-ils du bien-fondé de leur outil, se  sentent vaguement orphelins d'une doctrine. Ils ne se satisfont pas des brèves monographies  pittoresques, ni des grilles d'évaluation. Quant aux soignants qui ne la cultivent pas, ils se  cantonnent apparemment et le plus souvent dans une bienveillante ignorance. Le sport suscite  peu d'opposition de principe mais plutôt un préjugé favorable sans adhésion franche, un  accord mou.  

Très connu, et généralement apprécié. Le sport en psy souffre dirait-on de son  évidence prosaïque. II aspire à des discours plus éclatants et à des modernités plus radicales.  

II est plusieurs raisons d'importance à ce décalage.  

  1. a) D'abord le sport répugne à une logique linéaire telle que l'affectionnent la  pédagogie et le scientisme. Le sport n'est pas un geste simple, une procédure limpide, un  raisonnement univoque. Grosso modo prescrire consisterait à ordonner tel remède contre tel  mal : au diagnostic succède un traitement que l’on administre selon les règles, puis on évalue  le résultat. La séquence a l'avantage de la fluidité.  

Mais il est rare que le sport se présente ainsi.  

Engager une partie de ballon n'équivaut pas à instaurer des neuroleptiques en  injectable. Ni le dessein ni la temporalité ne sont superposables. Dans le cas de la  chimiothérapie, il y a un schéma préexistant et un cours attendu. Dans le cas du ballon, il y a  d'une part une progression plus aléatoire ou à chaque pas se multiplient les possibles. II y a  d'autre part un emboîtage de raisons différentes, selon que l’on regarde ou le patient, ou  l’équipe, ou la condition physique, ou la psychose, ou le score. Le sport est réalité complexe.  Mêlant effort, compétition, jeu, spectacle, curiosité, plein air, groupe, il s'avère d'emblée  multiple dans ses leviers.  

Certes, pour les besoins de la prévision et de l'organisation, le langage peut être  simplifié lorsqu' on rétrécit volontairement son périmètre : si par exemple l'on propose des  programmes d'activité, il adopte des aspects plus linéaires. Si l'on n’examine que les  péripéties sportives et pas les interactions psychothérapiques en jeu, il peut aussi alléger sa  charge.  

On a pu simplifier le sport lui-même, le pousser à son extrême physiothérapeute,  le limiter à des procédures duelles, à des techniques passives, le débarrasser du ludique pour ne  conserver que le conditionnement physique. C'est un des horizons du domaine que nous étudions.  Pour être plus aisé à formuler, il perd sans doute alors une part de sa polyvalence et son  efficience.  

  1. b) Une autre cause du décalage de langage est, me semble-t-il institutionnelle.  C'est le statut du soignant sportif. Dans les établissements psychiatriques, cela aura été la tâche et  le mérite de la profession infirmière que d'occuper cette fonction. Cela aura été l'une des  nombreuses facettes de l'art d'accompagner les malades au jour le jour, à travers les institutions,  se servant de points d'appui, en étayant le processus vers le mieux-être.  

Or l'on sait que la profession d'infirmier psychiatrique est en rapide mutation.  Premièrement, elle s'est dépsychiatrisée, dans son cursus, tendant à délaisser les pratiques  institutionnelles des hôpitaux au profit de gestes réputés plus techniques. Deuxièmement elle se  découple de la profession de médecin avec laquelle elle formait binôme des hôpitaux  psychiatriques. Un discours propre se cherche, qui insiste de plus en plus de son côté sur la  médicalisation.  

Tandis qu' une profession mue de la sorte, de nouvelles professions se profilent qui  touchent au corps en-dehors de son objectivité médicale: professeurs de gymnastique, éducateurs  sportifs, spécialistes de l'animation et de 1'expression, etc. Elles occupent une place croissante  dans une société porteuse.  

Dans ce panorama, le sport en psy se retrouve quelque peu écartelé. Entre la  physiothérapie et le loisir. Entre le mécanicisme médical dont Coubertin déjà invitait à éviter la  pente, et 1'hygiene banalisée de l'honnête homme, à la mode de l’an 2000. Entre un goût d'agir et  un souci d'accompagnement. Bien qu'inconfortable, la bipolarité est tout à fait fondamentale dans  notre domaine entre la technique corporelle et 1'experience de compagnonnage.  

De toute façon - complexité de nature ou conjoncture professionnelle - le sport en psy ne  trouve pas tout à fait le la.  

 Où situons-nous son centre de gravité de SPORT-TRAITEMENT ?  

Nous le rangeons essentiellement, et, faute de meilleure appellation, dans la sociothérapie,  ces thérapeutiques par le milieu où il est question d'un champ social, d'une activité médiatrice et  de situations en devenir.  

L'ensemble des variables en présence est tel que l’articulation des causalités est  inépuisable à dire et à programmer. En revanche, cette difficulté de l'analyse et de la prévision  faite, pour le praticien, toute la richesse de l'activité qui s'estime, se déploie et se réoriente à  mesure, chemin faisant.  

Le langage qui se prêterait le mieux à son analyse serait en fait le langage de la stratégie,  car il porte sur l'action et car il sait prendre en compte des composantes variées, car il sait  différencier but et moyen, étape et fin.  

Nous ne sommes pas assez rompus à ce langage des activités et des complexités qui correspond  selon le dictionnaire à « L'art de coordonner des actions et de manœuvrer en vue d’un but ». 

 

Il apprend à être vigilant aux systèmes et à les formuler. Comme son sens premier  l'atteste, il oblige à une appréhension très globale puisqu' en termes militaires, la stratégie traite  du mouvement des armées avant le contact. En termes footballistiques, on dirait : le jeu sans  ballon, où s’affirme le sens du jeu à un plus haut degré. La stratégie part de loin et va loin. Elle  rend bien l’action autant qu'elle accompagne.  

Ce langage stratégique reprend en particulier avec soin les situations et leurs virtualités.  Nous en verrons l'application à la montagne, à la mer ou au vélo qui forment des contextes à  chaque fois particuliers, caractérisés par des appauvrissements du milieu, des radicalisations de  l'environnement, et aussi des formalisations du groupe.  

Le langage de la stratégie se conçoit bien pour un sportif, qui 1'applique journellement. Il  se conçoit au fond aussi pour un soignant qui use peu ou prou d' un pronostic, qui tache de  moduler des conduites à tenir, qui mitonne des "cuisines" thérapeutiques comme on dit, qui  expérimente, se trompe, corrige, repart, se confronte à la réalité et aux autres soignants. Je pense  à tous ces préceptes qui témoignent d'un savoir faire ancien (Esquirol par exemple : "si la folie ne  guérit point, alors on pourra avoir recours à un traitement empirique. Jusque là, variez et variez  sans cesse les moyens consacrés par l’expérience". De la folie).  

Au fond, le sport en psy n'a rien d'une modalité pittoresque ou marginale. Les  médecins du siècle dernier le situaient comme un traitement cérébral DIRECT (au contraire par  exemple des médicaments).Il illustre les conditions les plus cruciales de toute psychiatrie:  soigner en avançant, soigner en s'appuyant sur le monde, mettre la folie en société,  éprouver son immobilisme, inscrire le soignant dans la scène. Autant que de lieu de soin, on  pourrait parler de lieu de vie à son propos.  

Lorsque l'on se trouve si près de l'axe du savoir-faire psychiatrique, et lorsqu' on se sent  embarrassé pour en expliquer clairement la force, il ne convient pas de se rabattre trop vite sur  des exercices appauvris, sous prétexte de lisibilité. II convient plutôt par tous les moyens, de se  replonger dans la riche expérience thérapeutique et de retrouver en stratège ses fils. Le savoir 

faire n'a peut être pas l'élégance du savoir, pourtant il en recèle les arcanes et en déborde de toutes  parts l'efficace. II y a sans doute une levée de blocages que les situations du sport délivrent avec  largesse, et qu'une science éthologique décoderait mieux.  

 

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