Dr Caroline Agostini, psychiatre à Caen  

Entretien

La Dr Caroline AGOSTINI, psychiatre au sein  de l'établissement public de santé mentale  à Caen, assure la présidence de« Sport-en tête », qui promeut le sport comme outil  de soin en complément du traitement  conventionnel  

LE QUOTIDIEN: Vous êtes présidente de  l'association« Sport-en-tête». Qu'est-ce  exactement?  

 

Dr CAROLINE AGOSTINI : « Sport-en-tête »  regroupe plus de 300 établissements psychiatriques à la fois médico-sociaux et hospitaliers, en France mais aussi enSuisse,  Belgique et au Luxembourg. Il s'agit de valoriser l'aspect soin par le sport en psychiatrie.  L'association organise différents séjours  thérapeutiques : ski, randonnée en Sologne,  deux multi-sport dans le sud de la France.  Ou encore« Voile-en-tête» avec une régate  qui réunit à peu près 160 patients pendant  line semaine et dont la première édition  s'est déroulée en 1992.  

« Quand les antidépresseurs augmentent la  sécrétion de sérotonine,  cela se déroule de façon physiologique avec  l'activité physique  « 

Le sport sur ordonnance est bien implanté à Caen dans plusieurs pathologies.  Comment est né le projet en psychiatrie? 

Depuis une dizaine d'années, j'ai commencé à développer l'activité physique en santé mentale au niveau de l'hôpital en lien  avec la ville : nous sommes les pionniers  en matière de psychiatrie. Lorsque l'on se  dépense physiquement, on se sent mieux,  et je m'étais dit que mes patients pouvaient  tout à fait se situer dans cette logique-là. En  les voyant assis sur une chaise à regarder le  temps qui passe, à prendre du poids avec  les neuroleptiques, être atteints de syndrome métabolique, je souhaitais vivement  trouver les moyens de mettre en place des  exercices physiques. Étant donné leur sédetarité et leurs facteurs de risque cardio vasculaires, nos patients ont une durée de  vie de 15 à 20 ans de moins que celle de la  population générale. Il fallait trouver un  palliatif à cette mortalité prématurée.  

 

Quels programmes d'activité physique  proposez-vous à vos patients?   

Une fois que le patient est stabilisé et qu'il  sort de l'hôpital, il peut accéder au sport sur  ordonnance. L'idée, c'est qu'une fois sorti,  le sport fasse partie de son quotidien, qu'il  intègre un club de la ville tout en étant accompagné ou bien directement en lien avec  nous. On a la chance d'avoir un gymnase à  l'intérieur de l'hôpital et à notre disposition  plusieurs structures de la ville de Caen,  dont une salle de gym, un vélodrome, une  piscine. Nous avons entre 18 et 20 activités  par semaine à proposer et les clubs privés  de la ville viennent vers nous. Un cycle  zumba a très bien fonctionné et les patients  nous ont demandé de le refaire. Également  au programme un cycle marche nordique.  

 

Comment arriver à motiver les patients,  souvent déprimés ,qui rechignent à faire  du sport?  

 Même un patient non sportif, il est possible  de le faire bouger. On lui fixe des objectifs très simples au début, on lui redonne  confiance en lui et on lui fait prendre  conscience progressivement qu'il fait déjà  de l'activité physique quand, par exemple,  il ouvre ses volets. On peut aussi le motiver  en disant« vous venez à la consultation, vous  vous arrêtez à l'arrêt de bus précédent et vous  finissez à pied ». Petit à petit, on augmente  l'intensité pour qu'il arrive à faire du vélo,  du tennis.  

Les patients démarrent dès leur entrée  à l'hôpital et l'on essaie d'organiser des  séances deux fois par semaine minimum  avec les 150 minutes recommandées. Des  évaluations individuelles sont réalisées  avant de les intégrer à un groupe et des plaquettes qui expliquent bien les choses leur  sont remises. Je suis d'ailleurs en train de  travailler avec la Haute Autorité de santé  pour faire des fiches patients, afin de leur  faire prendre la mesure des bienfaits à long  terme de l'activité physique.  

Il faut que ce soit un plaisir car si le patient vit l'activité physique comme une  contrainte, l'impact sur la santé mentale  sera réduit avec risque d'abandon. Et pour  que ce soit efficace, il faut une régularité.  C'est surtout le degré d'intensité qu'il faut  adapter au patient. On ne va pas faire pratiquer un sport de combat à une personne  agressive qui décompense, un patient suicidaire ne va pas non plus faire de l'escalade  ou du parachutisme: un accompagnement  est nécessaire.Souvent, l'argument qui  revient pour éviter de bouger, c'est « vous  avez vu le traitement que j'ai », ce à quoi je  leur réponds « on va essayer, vous allez voir  que cela n'aura pas d'impact». Une fois qu'ils sont mobilisés, ils sont très contents.  Si des patients arrêtent et rechutent, ce n'est  pas grave, je ne lâche pas l'affaire. On a un  gros travail de phoning avec les soignants  de façon hebdomadaire. Et quand on a appelé deux fois un malade et qu'il ne vient  pas, un mail est adressé aux confrères en  disant «.attention, il décroche, il faut nous le  renvoyer, que l'on fasse le point avec lui».  

 

Quelle complémentarité au niveau du  cerveau entre sport et médicaments?  

L'activité physique, qui donne cette sensation de bien-être et qui englobe une sécrétion d'endorphines et de sérotonine,  entraîne une diminution des syndromes  dépressifs, du stress avec moins de sécrétion de cortisol et une amélioration de la  qualité du sommeil. Quand les antidépresseurs augmentent la sécrétion de sérotonine, cela se déroule de façon physiologique avec l'activité physique.  

Des initiatives peuvent être prises pour  réduire les anxiolytiques, mais pas de manière systématique. C'est au cas par cas. En  tout cas, après des séjours comme la voile,  on a vu des patients ne plus prendre de médicaments pour dormir ...  

« Lors de l'interrogatoire,  on va demander au  patient s'il fait du sport au  même titre que s'il boit ou  fume ... «  

D'après les études en cours, des effets immunologiques seraient à l'œuvre avec une  diminution de la neuro-inflammatlon,  une amélioration de la plasticité cérébrale  jouant sur la mémoire et un effet protecteur sur les maladies neurodégénératives.  Au long cours, cela prévient également les  risques de rechute de syndrome dépressif.  

 

Pour moins fumer et ne pas trop grossir, le sport a aussi son intérêt


Comme nos patients fument beaucoup effectivement, c'est un argument de dire « faites de l'activité physique » et l'occasion d'essayer de diminuer un peu le tabac.J'arrive à leur faire accepter d'oublier la cigarette pendant la séance. C'est une de moins, et comme une petite victoire. Tout est bon pour encourager le patient

Quant au poids, on s'est aperçu qu'ils viennent faire du sport pour maigrir.Je leur explique qu'ils ne vont pas en perdre dans la semaine, que cela ne fonctionne pas ainsi mais qu'ils vont se raffermir. Dans un deuxième temps, on fait une enquête nutritionnelle. Souvent mes patients viennent avec deux bouteilles de coca dans leur sac et je leur explique qu'il faudrait qu'ils revoient leur alimentation et tout ce qui gravite au- tour_ On fait un état des lieux, on parle des repas qu'ils doivent faire ou ne pas faire. Dans les hôpitaux, il faudrait que cette forme de soin entre dans les mœurs. Déjà, au niveau de la faculté, les jeunes méde- cins commencent à en entendre parler. Et puis la Haute Autorité de santé est en train d'y travailler. C'est maintenant reconnu et lors de l'interrogatoire, on va de plus en plus demander au patient s'il fait du sport au même titre que s'il boit ou fume...

 

 

Propos recueillis par Agnès Figueras-Lenattier 

Le quotidien du médecin hebdo- 9909 -Vendredi 3 septembre 2021